Venez nous retrouver sur notre nouveau site mespetitsdiables.com

Quelle étrange histoire que celle qui a changé la métairie de Malbos en Mas du Diable.    

 

 

 

L’histoire commence en 1765, date à laquelle la métairie de Malbos est affermée en « locaterie perpétuelle» à Antoine Dugas par son propriétaire, monsieur De Rochemore, baron d’Aigremont et seigneur de Peiremalle. Les lieux sont alors en ruine, délaissés par les anciens fermiers depuis de nombreuses années. La famille Dugas remet la propriété en état et la fait prospérer pendant treize ans avant que survienne un malheur qui va changer le cours de leur existence.

 

Le 16 août 1778, Antoine Dugas et Jean Thomas (son gendre) vont réparer les rangées de lauzes coiffant les murs des faïsses1 que les brebis ont déplacées et fait tomber. A la dernière rangée de lauzes, Antoine glisse, se retrouve étendu en bas du mur, les yeux clos et le dos brisé. Jean va chercher de l’aide et le malheureux est remonté à la métairie sur une échelle recouverte d’une paillasse, utilisée en guise de brancard. Antoine survit à son accident, mais il restera paralysé malgré les décoctions, cataplasmes, pigeons écorchés vifs pour éloigner la mort (!!!).

 

Fin octobre 1778, Antoine discute avec Savanier, son domestique. Le dialogue porte sur un voisin, Etienne Sugier, ennemi d’Antoine. Antoine pense qu’Etienne Sugier se réjouit de son état. A force d’agacement, Antoine en vient à souhaiter la mort d’Etienne Sugier. Savanier lui confie alors qu’il connaît le diable en personne et que celui-ci peut accéder à la requête d’Antoine (la mort de Sugier), en échange de quatre louis d’or. Commence alors une quête de Mme Dugas afin de rassembler la somme nécessaire. Savanier récupère les quatre louis d’or et Etienne Sugier est déclaré mort à la famille Dugas. Antoine s’en félicite, ne sachant pas que Sugier, sous sa fenêtre, entend toute la discussion et décide de se venger de la méchanceté de son voisin. Dans un premier temps ses méfaits se limiteront au vol de la récolte de châtaignes2, au fur et à mesure du ramassage effectué par Mme Dugas et son fils.

 

Dans la nuit du 16 au 17 novembre 1778, Etienne Sugier et une dizaine d’autres personnes se retrouvent devant la métairie de Malbos pour y mener un train d’enfer, usant d’éclairs, de grondements d’orages hors saison, de cris diaboliques, terrorisant ainsi toute la maisonnée. Savanier, de mèche avec les agitateurs, regarde par la fenêtre d’un air inquiet, et voit le diable. Celui-ci est venu pour réclamer son dû pour le service rendu, à défaut de quoi il les emportera tous. Terrorisée, la famille Dugas ordonne à Savanier de donner au diable les châtaignes, les noix, les saucissons et le lard, le vin, puis les vêtements, les souliers, le fromage, les prunes séchées… Finalement toutes les provisions engrangées en prévision de l’hiver y passent. Dans un grand tintamarre, la troupe diabolique se retire, laissant une maison vidée de ses provisions et dans un état de panique extrême.

 

A l’aube, le 17 novembre, Mme Dugas se rend au mas Gramont raconter leur mésaventure. En chemin elle rencontre Jean Baptiste Bargeton, un voisin, à qui elle confie son désir de partir de ce lieu possédé. Cette malédiction lui dit elle est liée à leur famille car ils ont fait appel au diable et s’éteindra avec leur départ. La famille Dugas souhaite céder la « locaterie » à Jean Reboul, un ami de longue date qui les a grandement aidés dans les travaux de réhabilitation du mas. Bargeton convainc Mme Dugas qu’ils ont été victimes d’un coup monté de la part de Jean Reboul, qui a envoyé le diable chez eux afin de récupérer la locaterie concédée à Antoine Dugas. Il se propose alors de leur rendre un immense service en reprenant à son compte la métairie.

 

Le 18 novembre, le notaire, Maître Bouquet, son assistant, ainsi que le neveu de Bargeton, sont conduit à la métairie par Jean Trélis (qui est pris en otage dans cette histoire, la destination ne lui ayant pas été indiquée clairement au préalable). Ils y retrouvent Jean Baptiste Bargeton.

Le brouillon d’un acte de subrogation est rédigé en faveur de Jean Baptiste Bargeton. La particularité de cet acte consiste en l’attribution de la propriété de tous les biens contenus dans la maison au repreneur. Jean Baptiste Bargeton promet à Antoine Dugas de lui verser cinquante livres avant noël en dédommagement du travail de remise en culture du domaine.

Tous les convives soupent là, Jean Trélis et le neveu de Bargeton dorment sur place et les autres convives prennent congés dans la soirée.

 

Au matin du 19 novembre, Jean Trélis se retrouve seul avec Antoine Dugas. La femme et le fils d’Antoine sont partis avant le réveil de la maisonnée. Antoine demande à Jean de prévenir sa fille, Marie Magdeleine, qui habite avec son mari à Courcoulouse, hameau situé sur le chemin de retour de Jean Trélis. Marie Magdeleine arrive à la métairie alors que Jean Baptiste Bargeton prend possession des lieux et inventorie les brebis lui revenant. Antoine refuse dans un premier temps d’aller habiter à Courcoulouse chez sa fille, mais doit s’y résoudre à la fin de la semaine, devant l’insistance de celle-ci et l’absence prolongée de sa femme et de son fils. Après le départ de Dugas de la métairie, on y fait bombance.

 

Au retour de la « messe de la nuit » de noël, Jean et Marie Magdeleine mettent à brûler le « calèndàu », la bûche de noël. Plus la bûche brûle longtemps, plus le bonheur sera grand. On prie pour le rétablissement du père et le retour de la mère. Le lendemain matin les cendres sont réparties à des endroits stratégiques : dans la bergerie pour protéger les brebis et la chèvre, près du lit d'Antoine pour qu'il se rétablisse, sur le toit pour éloigner la grêle...

Antoine Dugas, éteint, refuse de demander les cinquante livres à Bargeton.

Le 23 février 1779, sous la pression de sa fille, une plainte est déposée auprès de sieur Légal, huissier. Les 34 témoignages rapportés dévoilent une vérité partielle qui fait état d'une part d'une alliance entre Savanier et Sugier afin d'extorquer à Dugas ses biens et d'autre part le triomphe affiché de Bargeton, qui a récupéré la métairie. Mais Bargeton menace quiconque dénoncera ses agissements envers Dugas.

 

Antoine meurt sans avoir perçu l'argent dû par Bargeton, persuadé d'être la risée de tout le pays.

 

Le 18 juillet 1781, Marie Magdeleine, la fille d'Antoine Dugas et Jean, son époux, déposent à nouveau plainte contre Jean Baptiste Bargeton. Les langues se délient alors : Jean Baptiste Bargeton a donné de l'argent aux membres du groupe d'agitateurs qui a joué la scène du diable sous les fenêtres de la famille Dugas. Le butin a été consommé en présence de celui ci. Bargeton a affirmé plusieurs fois que personne ne le délogerais du mas, sous peine de représailles. Il a même précisé que les représentants de la justice, Reboul, Soustelle et Richard, prendraient un coup de fusil s'ils se mêlaient de cette affaire.

A la suite de l'enquête, Jean Baptiste Bargeton et ses acolytes doivent être « pris et saisis au corps, menés et conduits sous bonne et sûre garde dans les prisons de la juridiction pour y être de droit défendus à la demande des parties civiles et aux conclusions du procureur fiscal... ». Ces sanctions ne seront pas appliquées.

 

La fin de ce siècle, avec la révolution française, est particulièrement mouvementé, les prisons sont éloignées et remplies de bandits de grand chemin et l'insécurité règne dans les campagnes. Marie Magdeleine et Jean vont continuer à se battre pour que le jugement rendu soit appliqué, mais en vain. Trente neuf ans après, un jugement classe l'affaire, trop ancienne pour être réexaminée. Une partie des protagonistes est également décédé entre temps.

 

La fille d'Antoine Dugas ne pourra donc pas retrouver la maison de son enfance. Elle restera propriété des descendants de Jean Baptiste Bargeton jusque dans les années 1980.

 

 

 

 

1 faïsses : murs en pierre sèches soutenant les terres exploitées. (voir les photos du mas).

2 La châtaigne est à la base de l’alimentation des paysans cévenols de cette époque là. Elle est consommée sous différentes formes tout au long de l’année.

 

 

 

 

Sources : Le mas du diable de Brigitte Mathieu